De nombreuses personnes font craquer leurs articulations pour relâcher la tension ou pour avoir l’impression de les « libérer ». Il s’agit parfois d’une habitude nerveuse. Mais d’où vient ce bruit de craquement que l’on entend ? Est-ce mauvais pour les articulations comme le prétendent certaines personnes ? Pourquoi l’ostéopathe fait-il craquer ? Au cours de cet article, nous allons démystifier ce geste.

Qu'est-ce que le "crack" ?

Avant tout, je tiens à préciser que ce ne sont pas les os qui craquent ! Le bruit provient de l’articulation, et plus particulièrement lors du phénomène de cavitation. Celui-ci correspond à la formation de bulles de gaz dans un liquide soumis à une dépression.


Se craquer les doigts


Prenons l’exemple du craquement de doigts. Lorsque l’on tire ou que l’on plie les doigts, cela crée un espace entre les deux os. Suite aux variations de pression intra articulaire, des bulles de gaz (notamment du dioxyde de carbone) apparaissent alors dans le liquide synovial, liquide qui lubrifie les articulations.

Il existe 2 hypothèses sur l’origine du bruit articulaire :

  • selon une étude parue en 2015*, le bruit provient de la cavité produite lors de la séparation des articulations. Les auteurs ont examiné le craquement des doigts sous IRM. Les résultats ont montré la création rapide d’une cavité dans l’articulation au point de séparation qui reste visible après l’arrêt du bruit. 
  • Mais en 2018, deux chercheurs** réfutent cette théorie et affirment que c’est l’éclatement des bulles de gaz, formées lors de la séparation des articulations, qui produit le son. Ces derniers sont parvenus à cette conclusion en développant une formule mathématique. 

Pourquoi l'ostéopathe fait-il craquer ?

Lors d’une séance d’ostéopathie, le praticien peut avoir recours à une manipulation : la fameuse technique qui fait craquer. Ce geste vise à écarter rapidement les surfaces articulaires dans une amplitude physiologique (on ne vient pas luxer les articulations). Cette action va stimuler les mécanorécepteurs présents dans les tissus de l’articulation, transmettant ainsi une information au système nerveux. Une régulation physiologique est alors émise permettant un effet décontractant musculaire et antalgique, et optimisant la fonction articulaire.
Cette technique ne traduit donc pas la « remise en place » d’une articulation, mais contribue à améliorer son amplitude de mobilité.
Cet acte doit être adapté en fonction du patient et respecte la règle de la non douleur. C’est un outil parmi tant d’autres, qui est rarement utilisé seul (cf. « Ma pratique »).

Est-ce dangereux ?

Bien que le bruit puisse être impressionnant, cela n’est pas dangereux. Et, contrairement à ce qui est souvent pensé, se craquer les articulations ne provoque pas d’arthrose ! En effet plusieurs études*** ont démontré qu’il n’y avait pas de corrélation entre se faire craquer et l’arthrose. La plus étonnante est celle**** d’un allergologue américain, Dr Donald Unger, qui a fait craquer uniquement sa main gauche, à raison de deux fois par jour minimum, pendant 50 ans. Ses mains ont ensuite été examinées pour juger de la présence ou non d’arthrite. Résultats : ses deux mains étaient similaires. Cette étude lui aura valu le prix du IgNobel de médecine en 2009.

En revanche, les manipulations ostéopathiques ne doivent pas être reproduites par n’importe qui et n’importe comment. En effet, comme pour tout acte médical, le risque zéro n’existe pas.

Le plus redouté est la dissection des artères vertébrales cervicales, responsable d’accident vasculaire. Cependant, selon un rapport de l’Inserm*****, le risque de déclencher un accident vasculaire cérébral (AVC) est rare : de un cas pour 400 000 manipulations des cervicales à un cas pour 5,8 millions de manipulations. Mais il augmente lors de manipulations en rotation et en fin de jeu articulaire. Celles-ci doivent ainsi être évitées. Cela comprend notamment le geste effectué par certains patients eux-mêmes et consistant à tourner la tête fortement, aidée d’une main sur le menton avec, ou non, une impulsion.

Rappelons que pour maitriser ces gestes, l’ostéopathe a suivi au moins 1500 heures de formation de pratique clinique au contact de patients. De plus, il doit évaluer le ratio bénéfices/risques et rechercher systématiquement les contre-indications à la manipulation.

* Gregory N Kawchuk, Jerome Fryer, Jacob L Jaremko, Hongbo Zeng, Lindsay Rowe, Richard Thompson, « Real-time visualization of joint cavitation », PLoS One, avril 2015. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/25875374/

** V. Chandran Suja & A. I. Barakat, « A Mathematical Model for the Sounds Produced by Knuckle Cracking », Scientific Reports volume 8, Article number: 4600, Mars 2018. https://www.nature.com/articles/s41598-018-22664-4

*** Kevin deWeber, Mariusz Olszewski et Rebecca Ortolano, « Knuckle cracking and hand osteoarthritis », Journal of the American Board of Family Mededecine, vol. 24, no 2,‎ mars-avril 2011, p. 169–174.
https://www.jabfm.org/content/24/2/169.long
Robert L. Swezey, MD et Stuart E. Swezey, « The Consequences of Habitual Knuckle Cracking », West J Med. 1975 May; 122(5): 377–379. https://www.jabfm.org/content/24/2/169.longhttps://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1129752/?page=1

**** Donald L. Unger, « Does Knuckle Cracking Lead to Arthritis of the Fingers? », Arthritis & Rheumatism, vol. 41, no 5,‎ mai 1998, p. 949-50 

***** Caroline Barry, Bruno Falissard, « Evaluation de l’efficacité de la pratique de l’ostéopathie », Inserm, avril 2012, p. 133-153.
https://www.inserm.fr/wp-content/uploads/2017-11/inserm-rapportthematique-evaluationefficaciteosteopathie-2012.pdf